Cette oeuvre de l'artiste aborigène Lily Karadada a été exposée au Musée d’Art Contemporain les Abattoirs de Toulouse dans le cadre de l’exposition “Temps du Rêve / Dreamtime” en 2009.Originaire de la région des Kimberleys au Nord-Ouest de l'Australie, la peintre aborigène Lily Karadada évoque dans cette œuvre les Grands Ancêtres Wandjina. Pour les aborigènes, ces divinités-oiseaux sont des esprits de la pluie venus du large qui assurent la fertilité des territoires qu'ils protègent.Au Temps mythique du Rêve où l'Australie fut créée, deux enfants aborigènes de la région de Turkey Creek auraient capturé un esprit Wandjina. L'ayant fait tournoyer dans les airs, ils le projetèrent au loin et des plumes du Wandjina leur restèrent dans la main. Pour se venger, le Wandjina se transforma en épais nuage et, aidé du Serpent-Arc-en-ciel, déclencha un terrible cyclone qui emporta les deux enfants irrespectueux. Depuis cette époque, le caractère bienveillant des esprits Wandjina se double donc d'un aspect destructeur. C'est d'ailleurs pour conjurer celui-ci que les aborigènes représentent les Wandjina sans bouche : les ouragans sont en effet censés naître de leur bouche.A l'origine, les esprits Wandjina étaient représentés sur la parois de rochers ou de grottes sacrées. Les aborigènes les transposèrent ensuite sur écorce, joignant aux images de Wandjina celles de personnages, d'animaux et d'objets liés à tel aspect de la légende des Wandjina ou à tel aspect de leur culte. C'est de cette "manière" que s'inspire ici l'artiste aborigène qui cependant a préféré la toile à l'écorce. Mais en utilisant des pigments naturels et non pas de la peinture acrylique, il a quand même inscrit son œuvre dans la tradition picturale aborigène. C'est encore d'une manière très conforme à la tradition qu'il a représenté les Wandjina sans bouche, la tête auréolée d'une "gloire". Le choix du blanc pour le visage transforme celui-ci en masque cérémoniel percé de deux trous noirs. L'évocation de la divinité et celle de sa représentation rituelle (le masque) coïncident donc ici pour insister sur la valeur "totémique" des Wandjina. Le caractère massif de leur corps, leurs pattes-jambes solidement plantées accentuent d'ailleurs cet effet. Enfin, en disposant les Wandjina sur deux niveaux, en les entourant d'objets (un panier cérémoniel en haut à droite), d'animaux (oiseaux, lézard, serpent) et d'êtres humains, et en donnant à sa toile un bord qui la sacralise, l'artiste s'est totalement inscrit dans la perspective religieuse qui continue de gouverner l'art aborigène contemporain : véritable œuvre d'art, la toile reste aussi une icône sacrée.Stéphane Jacob dirige la galerie Arts d’Australie • Stéphane Jacob. Expert en Art Aborigène (C.N.E.S.), co-auteur du catalogue des peintures aborigènes des collections du musée des Confluences de Lyon et de l'ouvrage "La peinture aborigène" aux nouvelles Editions Scala. Il est signataire de la charte d’éthique australienne Indigenous Art Code, il s’attache depuis 1996 à faire connaître l’art et les artistes australiens aborigènes contemporains d’Australie. |